Interview de Cédric Bornard – Avocat Associé chez Léga-Cité

Les propos de l’interview sont complétés par des illustrations d’actions communes entre Léga-Cité et Lindea

Adaptation des entreprises et des organisations du travail à la nouvelle donne post-confinements et valorisation de la qualité humaine du travail :

En quoi l’épisode que nous avons vécu collectivement en 2020-2021 conforte ou, au contraire, fait évoluer vos pratiques, la manière dont vous accompagnez vos clients privés et publics, et éventuellement l’organisation de votre cabinet ?

Le cabinet (https://www.lega-cite.fr/), qui compte désormais 32 personnes, a dû s’adapter comme toutes les entreprises en généralisant le télétravail à tous les postes. L’adaptation a été relativement simple et rapide dans la mesure où nous avions décidé six mois avant la crise d’expérimenter le télétravail comme outil alternatif de gestion des ressources humaines. Nos outils informatiques étaient en place avec des accès à distance sur notre logiciel de gestion. Le télétravail restera inscrit dans la durée au cabinet.

Comme toutes les entreprises aussi, nous avons multiplié les visios pour faire avancer les dossiers et continuer à assister nos clients dans notre rôle de conseil qui représente une part significative de l’activité du cabinet. Là aussi, ce mode de fonctionnement restera dans la mesure où il a mis en lumière l’inutilité d’un certain nombre de réunions physiques génératrices de temps de déplacement qui ne s’imposaient pas.

En ce qui concerne l’activité contentieuse du cabinet, elle a été à l’arrêt pendant le premier confinement, les tribunaux étant fermés. Cela a encore accru le retard des juridictions dans le traitement des dossiers. Le premier confinement aura montré une chose : la justice est un service public essentiel et les tribunaux ne peuvent pas rester fermés. A minima une modernisation informatique profonde des juridictions est nécessaire.

Régénération et redynamisation des activités immobilières et économiques, conventionnelles et innovantes, dans les territoires :

En tant qu’acteur du montage et du développement de projets immobiliers et urbains, vous participez à la modernisation et à la transformation des activités immobilières et économiques, dans des secteurs variés. Pouvez-vous donner quelques exemples d’opérations dans lesquelles cet enjeu fort a trouvé des réponses juridiques particulièrement adaptées ?

Le cabinet étant soumis au secret professionnel, il n’est évidemment pas possible de faire référence à des exemples précis. De manière générale, le cabinet participe à un nombre important d’opérations d’aménagement via l’outil de la ZAC ou du PUP. Mais il participe également à de nombreuses opérations de transformation d’anciens sites industriels et pollués vers de l’habitat collectif. On voit également, compte-tenu de la rareté du foncier, des opérations de surélévation d’immeuble, de réhabilitation lourde d’immeubles existants ou de démolition-reconstruction. Un concept se développe de plus en plus : la réversibilité des immeubles, qui pose des problématiques juridiques et techniques qui sont loin d’être simples. L’urbanisme transitoire se développe également de manière importante dans un deal « gagnant-gagnant » pour les collectivités et les porteurs de projet.

Plus généralement, quel est votre analyse du panorama Français, en ce qui concerne le renouveau des pratiques immobilières et la gestion des projets urbains ?

Au stade actuel, je n’observe pas un renouveau important des pratiques immobilières. Ou alors il est contraint et d’un effet pour l’instant limité.

En ce qui concerne la gestion des projets urbains, c’est différent. Les collectivités en sont des acteurs incontournables et les élections, particulièrement les élections municipales, influent énormément sur la manière de gérer les projets. Aujourd’hui, au-delà même de l’arrivée de majorités « vertes » dans un certain nombre de communes, il existe une tendance lourde des municipalités à vouloir limiter la densité des projets quels qu’ils soient. Les partenariats avec les acteurs privés s’en trouvent inéluctablement compliqués et la conciliation entre les enjeux publics et privés se fait de plus en plus difficilement.

Lindea intervient dans des environnements où le rôle des EPA et des EPF, l’évolution des SPL, la professionnalisation de la planification urbaine avec les nouveaux PLU, … font évoluer l’intervention des acteurs publics, que ce soit dans leur rôle tutélaire ou opérationnel, en même temps que les projets participatifs, le logement coopératif, le principe même du PUP, … Mais en tout état de cause, la multiplication des réglementations et leur complexité ne sont évidemment pas un facteur de fluidité dans la gestion des projets. Une chose est sûre : sans volontarisme politique, les projets n’avancent pas.

Actions d’aménagement et immobilières concertées et collaboratives : le succès d’une opération concertée pourrait de plus en plus se mesurer au réalisme de ses objectifs et de ses moyens, ainsi qu’à la capacité à proposer des solutions flexibles et évolutives, compatibles avec les contraintes urbaines, la qualité de vie (y compris pour des projets d’activités et non résidentiels), la préservation de l’environnement

Dans votre métier, vous êtes exposé à la concertation de projet de manière récurrente, du point de vue des acteurs publics ou des opérateurs privés. Quelle est la place de ces critères dans vos interventions, dispose-t-on d’outils juridiques adaptés ?

En droit de l’urbanisme et de l’aménagement, la concertation est un mécanisme connu et codifié, que ce soit dans le Code de l’urbanisme ou dans celui de l’environnement. Les outils sont donc là. Au demeurant, la concertation peut être un process qu’on peut développer en dehors de tout cadre juridique, comme mode innovant de gestion de projet.

Si la concertation est bien connue des acteurs publics qui l’utilisent depuis longtemps dans les procédures de révision des documents d’urbanisme ou de mise en place de ZAC, très clairement, la concertation n’est pas dans la culture des acteurs privés de l’immobilier. Cela participe au constat que je faisais plus haut de l’absence de renouveau des pratiques immobilières. Mais il est vrai que la concertation allonge les calendriers d’opération et n’apporte pas de garantie d’absence de recours une fois les autorisations administratives obtenues.

A Gex par exemple, la concertation mise en place pour l’opération Cœur de Ville a facilité en amont la modification des règles d’urbanisme et son acceptation par la population.

@Duval / AA Group, Projet Cœur de Ville – Gex

En particulier, dans votre rôle de conseil, quelles évolutions mesurez-vous dans la gestion des enjeux et des exigences liées à l’eau, à la faune et à la flore, à la protection face aux risques industriels, aux déplacements, pour réussir un projet d’urbanisation ou de renouvellement ?

Les enjeux sont immenses mais la pénétration des préoccupations environnementales dans la gestion de projet est un facteur de complexité supplémentaire parfois mal appréhendée ou pas suffisamment en amont par les porteurs de projet. Les risques sont démultipliés en cas de mauvaise appréhension. Par ailleurs, la logique de compensation qui prévaut aujourd’hui au côté des mesures d’évitement et de réduction est une logique qui risque de trouver rapidement ses limites compte-tenu de la raréfaction des fonciers disponibles.

Des analyses en amont des projets sont indispensables, telles que nous avons eu l’occasion de les pratiquer avec Lindea, qu’il s’agisse de la cession de fonciers hospitaliers désaffectés (à Besançon par exemple) ou de la mise en place d’opérations d’aménagement (Quartier de la Gare à Divonne-les-Bains ou Cœur de Ville à Gex), au stade des réflexions et des choix d’investissement ou d’urbanisation, qui intègrent l’environnemental dans une approche multi-dimensionnelle, au même niveau d’importance que la définition des besoins, les évaluations techniques, juridiques et économiques.

De manière globale, ces analyses sont aujourd’hui impératives pour les projets qui portent sur plus de 5 ha ou 10 000 m² de surface de plancher.

@ANMA, Projet quartier de la Gare – Divonne-les-Bains

Favoriser les investissements financiers et immobiliers responsables, propices à la durabilité et au rendement économique et écologique :

Quelles sont les réalités pratiques et les évolutions à venir dans les choix d’investissements de vos clients privés, dans le management urbain par les collectivités et, globalement, dans la conduite des projets immobiliers ?

Comme je l’ai dit plus haut, les collectivités sont globalement préoccupées aujourd’hui par une volonté de limiter la densification sur leurs territoires. Par ailleurs elles sont, notamment avec le PUP, dans une logique de financement privé des équipements publics qui sont bien souvent vieillissants ou pas suffisants.

Enfin, avec la multiplication des OAP, elles ont à disposition un outil d’urbanisme subjectif qui leur permet bien souvent de contraindre les projets, l’urbanisme en France étant un urbanisme négocié (qu’on le veuille ou non).

Les acteurs privés, en tout cas ceux que le cabinet connait, à savoir les acteurs de la promotion immobilière, sont durement confrontés à ces logiques et seront peut-être conduits à avoir une réflexion sur les acquisitions « à risque » de terrains.

Globalement en tout cas, la conduite des projets immobiliers n’a fait que se complexifier et impose, plus encore qu’auparavant, de savoir piloter et manager les différents intervenants à l’acte de construire, dans une logique de polyvalence et de pluridisciplinarité.

Sur le plan économique, pour les opérateurs comme pour les collectivités et surtout pour les occupants, nous verrons si le Bail Réel Solidaire, dans la lignée des baux emphytéotiques ou à construction, aident à contenir les prix.

Votre éclairage sur le traitement des 4 thématiques que nous venons d’aborder dans les questions précédentes, dans le cadre de missions que vous avez conduites :

Dans des projets particulièrement écologiquement et socialement responsables ou dans des opérations de renouvellement urbain ou des développements de parc d’activité péri-urbains ?

Comme je l’ai dit plus haut la multiplication des réglementations et leur complexité n’est évidemment pas un facteur de fluidité dans la gestion des projets, bien qu’on puisse comprendre l’intérêt de dispositions récentes visant plus de durabilité et une meilleure gestion des impacts.

Un exemple : le cabinet a assisté un maître d’ouvrage dans la réhabilitation d’un parc d’activité existant en pleine ville. Même sur cette opération, il n’a pas été simple de convaincre les acteurs publics, notamment l’Etat, de l’absence de nécessité d’évaluation environnementale, malgré la cohérence et la continuité entre le passé et le futur du site.

Quant aux opérations de renouvellement urbain, sans rentrer dans le détail ni trahir le secret professionnel, ce sont des opérations qui se développent dans un temps long (5 à 10 ans minimum) et qui varient au gré des changements d’orientations politiques, que ces opérations se fassent en ZAC ou sans, avec de simples PUP. Une chose à noter d’ailleurs : pour les acteurs publics, la ZAC n’est pas un outil dépassé et il semblerait que le PUP ait montré ses limites auprès d’un certain nombre de collectivités, n’étant normalement pas un outil d’aménagement, mais un outil de financement des équipements publics.

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